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Citation du jour

La tristesse et le chagrin sont comme un gouvernant. Quand il s’installe à un endroit, il ne permet pas aux autres d’y résider.

Bichr al-Khafi

Le secret du vivre ensemble fraternel et amical

Mehmet Sucu

Social

Vivre dans la même ville, le même quartier et le même immeuble suffisent-ils à éradiquer la solitude de l'individu et à répondre à ses besoins matériels et spirituels ? Malheureusement, beaucoup vivent seuls au milieu de la foule et ne trouvent personne avec qui discuter, à qui confier leurs soucis et leurs peines. Malgré des moyens tels que le téléphone portable, l'ordinateur et internet, qui assurément facilitent la vie, l'homme moderne est seul. C'est dans la solitude en effet qu'il affronte les mille et un problèmes de la vie. L'affaiblissement des liens familiaux en est la cause. Une situation tout à fait désolante qui nous donne envie de nous exclamer « Comme ils en avaient de la chance, les anciens ! » N'étaient-elles pas heureuses, ces grands-mères qui tenaient leurs petits-enfants par la main, les conduisant à la mosquée pour y prier ensemble ? N'étaient-ils pas heureux ces grands-pères qui visitaient les cimetières avec leurs petits-enfants à la veille des fêtes afin de leur présenter leurs ancêtres ? N'étaient-ils pas heureux ces enfants qui grandissaient en écoutant les histoires racontées par leurs grands-mères ? Qui sait ? Ils ne connaissaient ni troubles psychologiques, ni stress, ni dépression... Les anciens avaient des enfants dont le plus éloigné vivait de l'autre côté de la cour. Ils avaient des petits-enfants qui leur disaient : « Ce soir, je dormirai avec mon grand-père chéri ! Ma grand-mère adorée dormira chez nous ce soir. Youpi ! » Les anciens avaient des pères puissants, solides comme des rocs, sur qui ils pouvaient compter. Nul ne se retrouvait dans la rue. On considérait les personnes âgées comme la parure, la richesse et la bénédiction d'un foyer. Personne en leur présence ne se permettait de lâcher un « pfff ! » d'exaspération...

Il fut un temps où les gens ne souffraient pas de solitude. Les relations étaient solides et résistaient à l'épreuve du temps. Les gens étaient tolérants. Ils n'étaient pas égoïstes. Ils parvenaient à maîtriser leur colère. Chacun comprenait l'autre : sa posture, ses regards, son sourire. En règle générale, les individus étaient sages. Ils ne perdaient pas leur temps en vaines disputes du type « Pourquoi est-ce que vous ne m'avez pas laissé passer ? Pourquoi vous klaxonnez ? Pourquoi vous criez ? » Les individus vivaient des moments heureux avec leurs parents, enfants, amis et voisins. À partir du moment où les gens se sont mis à éviter d'entrer en contact avec ceux qui leur étaient les plus proches, les disputes et les problèmes sont apparus, charriant leur lot de tristesse et de souffrance. Peut-on raisonnablement attendre de quelqu'un qui ne supporte pas la mère qui l'a mis au monde, qui installe son propre père à une autre table uniquement parce qu'il mange bruyamment, qui se fâche contre ce même père qui a travaillé durement sa vie durant, simplement parce qu'il est devenu sourd, peut-on raisonnablement attendre d'un tel individu qu'il parvienne à entretenir une relation de qualité avec ceux qui ne lui sont pas même proches ? De même, qu'attendre de parents qui se comportent avec leurs enfants comme s'ils étaient des bêtes de course, leur rendant la vie impossible, exigeant d'eux constamment les meilleures notes, les accablant de reproches parce qu'ils ont été devancés par leurs camarades lors d'épreuves pourtant mineures ?... Les blessures morales que nous infligeons aux autres et les regrets que nous exprimons à travers des exclamations comme « Ah, si je pouvais remonter le temps !... » ne sont-ils pas le résultat de notre intolérance, de ces actions et paroles irréfléchies devenues communes dans notre vie d'aujourd'hui ? Ne pensez-vous pas dès lors que les vertus de nos ancêtres – la convivialité, le dialogue, les contacts fréquents, l'échange de présents comme de politesses, la gentillesse, le fait de savoir contenir sa colère, la patience, et l'action réfléchie, servie par une parole belle et juste – pourraient servir de remèdes à notre solitude actuelle ? Les abeilles, fourmis, et jusqu'aux animaux sauvages vivent en communauté. Est-il possible que l'être humain, créature sociale par excellence, puisse vivre une vie saine dans la solitude ?

Une prière faite en groupe vaut plus qu'une prière faite seul, et les mauvaises actions de ceux qui se trouvent à l'intérieur d'une communauté sont pardonnées. Ceux à qui cette vérité est parvenue ne doivent-ils pas d'emblée saisir l'importance que revêtent les liens sociaux, et dès lors agir en conséquence ? Nos croyances nous enseignent que la vie et l'action commune sont une bénédiction et que la séparation est synonyme de souffrance.

Il fut un temps où l'on rendait visite à celui qui ne pouvait le faire, où l'on aidait les gens dans le besoin. Le contact était établi d'une façon ou d'une autre. Les malades, ou ceux qui, pour une raison ou une autre, ne pouvaient avoir une vie sociale, voyaient les autres venir chez eux leur rendre visite, afin qu'ils ne se sentent pas seuls. On leur donnait ainsi une force morale. Soixante-dix mille anges accompagnent ceux qui sortent de chez eux pour rendre visite à un malade et demandent pardon pour leurs mauvaises actions du matin jusqu'au soir ou depuis le soir jusqu'au matin. Il était inconcevable que des individus sachant cette vérité agissent autrement. Nous sommes fiers de constater que les psychothérapeutes ont découvert récemment des méthodes de traitement que notre propre société met en pratique depuis des siècles. Ceci dit, une tristesse nous enveloppe lorsque nous observons que nous nous éloignons jour après jour des valeurs qui sont les nôtres.

Il nous arrive de nous étonner face à une personne âgée qui nous salue alors que nous ne la connaissons pas. Pour l'homme d'aujourd'hui, aucun acte ne saurait être gratuit, aussi est-il étonné qu'on puisse le saluer ou lui sourire sans rien demander en retour. Lorsque ces vieillards à la barbe blanchie, ces vieilles dames saluent de plus jeunes qu'eux, c'est que sans doute ils savent quelque chose de la vie... Ne sont-ils pas en train de tenter de transmettre aux nouvelles générations ce que leurs parents leur ont enseigné ? Pleins d'espoir, ils sèment des graines d'amour et de respect dans les cœurs des autres, qu'ils espèrent ainsi rendre à la sociabilité, à la vraie vie. Ces vieillards au visage lumineux avaient appris le verset qui nous enseigne qu'il nous faut rendre un salut meilleur que celui qu'on a reçu. Ils connaissaient ce hadith du Prophète (paix et bénédiction soient sur lui) qui nous invite à saluer les gens en arrivant dans une assemblée, en la quittant et, plus généralement, de répandre autour de nous le salut. Ils savaient également que la personne la plus appréciée par Dieu était celle qui salue la première. Le musulman sait que la pratique qui consiste à se serrer la main en faisant entrer en contact les paumes des mains purifie des mauvaises actions mineures et nettoie les cœurs des rancunes. Adresser un salut, serrer une main avec chaleur, entrer en contact avec les autres sont des actes aussi aisés en pratique qu'ils sont nécessaires et fructueux sur le plan moral.

Parfois, ce sont nos regards et nos paroles qui nuisent à nos relations et nous éloignent les uns des autres. Ne serions-nous pas plus enclins à vouloir établir des contacts si nos mots étaient davantage choisis, si nous n'étions pas blessants, si nous étions toujours honnêtes, et si nous préférions nous taire plutôt que de dire du mal ?

Dans le Coran, Dieu nous prescrit de nous exprimer avec de belles paroles, car le diable est là, il attend de pouvoir semer la discorde entre les croyants. En ces temps bienheureux, les gens savaient peser leurs mots. On demanda un jour à l'Envoyé de Dieu (paix et bénédiction soient sur lui) ce qu'il craignait le plus concernant les hommes. « Ceci ! », dit le Prophète, en montrant sa langue du doigt. Un musulman connaissant cet enseignement pouvait-il agir autrement ? Les gens savaient que la parole convenable était bénéfique en ce bas-monde comme dans l'au-delà. C'est la raison pour laquelle ils essayaient de consolider leurs relations par leurs paroles, en s'exprimant d'une façon positive. La morale de cette époque exigeait que l'on choisisse ses mots et que l'on pondère ses actes dans toute situation de communication, afin de toujours agir conformément aux principes de la foi, dans un esprit d'adoration de Dieu.

La moquerie, les surnoms dévalorisants, la diffamation sont prohibés par la Parole divine, car ils menacent le lien social, qu'ils abîment et peuvent détruire.

Ne sont malheureusement pas appliqués ces principes qui interdisent de rompre plus de trois jours et qui nous apprennent que celui qui fait le premier pas pour rétablir une relation préalablement rompue sera le plus récompensé. Un hadith dit ainsi : « Le lundi et le jeudi, les œuvres de chacun sont exposées. Ces jours-là, Dieu pardonne à tout individu qui ne Lui associe rien, à l'exception de celui resté en mauvais termes avec son frère. Dieu dira :

«laissez ces deux-là jusqu'à ce qu'ils se réconcilient'». Un musulman qui connaît un tel hadith peut-il raisonnablement vouloir rompre ou rester brouillé ? N'est-ce pas là une grave erreur ? L'islam nous enseigne qu'intervenir pour réconcilier des personnes brouillées entre elles est aussi important que de ne pas rompre nous-mêmes.

Nous constaterons à quel point nos relations d'amitié peuvent être solides dès lors que nous nous gardons des présomptions négatives et que nous évitons de nous immiscer dans l'intimité des autres. Il faut également, pour préserver et renforcer ces relations, non seulement ne pas croire tout ce que nous entendons, mais encore analyser ce qui nous est dit, afin de séparer le vrai du faux.

Et puisque ceux qui ne s'aiment pas n'ont pas la véritable foi et n'entreront pas dès lors au paradis, il faut alors commencer par s'aimer les uns les autres. Pour préserver et consolider ces liens, il est indispensable de se faire mutuellement confiance, de s'entraider, de se consoler, de se pardonner et faire preuve d'humilité. L'égoïsme et l'orgueil constituent de véritables dangers.

Le vivre ensemble amical, fraternel et pacifique sera alors possible.

Mehmet Sucu est un journaliste, auteur free-lance.