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26 Şubat 2014 Çarşamba

L'approche islamique de la science

La religion et la science sont naïvement conçues comme fondamentalement opposées. Sans doute est-ce là la conséquence de ces controverses qui les ont vu s'opposer l'une à l'autre au cours de l'histoire : l'emprisonnement de Galilée, le procès Scopes, par exemple, mais aussi, plus récemment, la question du créationnisme, toutes choses qui sont toujours présentes dans les consciences. L'islam, en revanche, est souvent apparu comme ayant fort peu de problèmes avec la science, à laquelle, du reste, il s'est toujours montré éminemment favorable.

Il y a plusieurs raisons à cela : la place accordée à la science et plus généralement à la raison dans les textes islamiques, les caractéristiques sociologiques, économiques et politiques propres au Moyen Âge, mais aussi, par ailleurs, le fait que le Coran ne contredit en rien les découvertes scientifiques.

Le Moyen Âge, considéré comme une période sombre de la civilisation occidentale, s'étend du Ve au XVIe siècle, englobant l'âge d'or islamique, qui va du VIIe au XVIe siècle. D'aucuns ont soutenu autrefois que la science islamique médiévale était à peine plus qu'une traduction des travaux des Grecs. Nous disposons aujourd'hui de suffisamment de faits pour prouver qu'il s'agissait d'une révolution scientifique à part entière, qui a d'ailleurs puissamment contribué à fonder la pensée scientifique moderne. Une des raisons qui expliquent partiellement le rôle clé joué par la science durant l'âge d'or islamique est sans doute la place qui lui est accordée dans les textes islamiques. On trouve dans le Coran des centaines de références à la connaissance humaine et à la contemplation. Le premier commandement de Dieu, - qui correspond d'ailleurs au premier verset révélé -, enjoint ainsi aux hommes de lire : « Lis au nom de ton Seigneur » (XCVI : 1).

On trouve également des centaines de références à la quête de connaissance dans la seconde source islamique que constituent les recueils de hadiths (dits et faits du Prophète), dont notamment celui où Mohammed invite à « aller quérir la science [où qu'elle soit] fût-ce en Chine ». Des pays connus par les musulmans d'alors, la Chine était en effet le plus éloigné. Rechercher la connaissance est pour les musulmans une obligation morale. Apprendre est en effet considéré comme une forme d'adoration, une quête de perfection spirituelle qui emprunte le chemin de la connaissance. Ces puissants facteurs expliquent sans doute cette brillante civilisation scientifique que les musulmans ont édifiée et qui fut leur âge d'or. La Renaissance, qui succéda aux ténèbres du Moyen Âge, est en quelque sorte son équivalent en Occident.

Il n'y a rien dans la Bible qui discrédite les découvertes scientifiques, bien qu'elle n'incite pas à la recherche scientifique de la même façon que le Coran. La Bible exprime l'idée d'un monde ordonné où la science est non seulement possible, mais encore doit tendre vers la vérité. Néanmoins, on n'y trouve guère cette incitation à la quête du savoir si caractéristique du Coran.

Inimitable et unique, le Coran l'est en ce qu'il n'est absolument pas sujet à la faillibilité humaine : transcrit immédiatement après que l'archange Gabriel en eût transmis la révélation à Mohammed, il n'a jamais subi aucune altération. Il faut noter à cet égard que le Coran, verbe de Dieu, doit être récité sous sa forme originale, en langue arabe, et non sous une forme traduite. Les domaines scientifiques évoqués dans le Coran vont de l'astronomie à la biologie en passant par la physique. Aucune contradiction n'a pu être relevée entre les découvertes scientifiques modernes et les vérités coraniques.

Pourtant, à proprement parler, on n'y trouvera aucune science dure, ce qui ne devrait avoir rien d'étonnant. En arabe, en effet, les mots sont riches de sens, et, partant, ouvert à des interprétations multiples. De fait, les mêmes passages ont pu faire l'objet d'interprétations différentes à l'appui de telle ou telle investigation scientifique, à des époques diverses.

L'expansion rapide de l'empire musulman à partir du VIIe siècle a été à l'origine d'une grande stabilité et d'une grande prospérité de l'Atlantique à l'Indus. Ces conditions ont à leur tour rendu possible l'évolution des sciences et des techniques, domaines où les progrès ont été immenses.

Une fois qu'un empire parvient à assurer aussi bien la subsistance que la sécurité de sa population, les hommes peuvent tourner leur regard vers des problèmes moins vitaux et employer leur génie à tenter de les résoudre, suscitant ainsi de grandes avancées scientifiques et techniques. L'Occident, en la matière, est resté longtemps engourdi après l'effondrement de l'empire romain. Et c'est de nouveau sous la bannière de l'Église catholique que l'Europe fut unifiée. Néanmoins, le fossé était grand entre la masse des paysans démunis et l'élite soucieuse de ses intérêts. Ce ne fut une période de prospérité que pour quelques-uns. Prospère, dynamique, l'empire islamique attirait les grands esprits, devenant la plaque tournante des réussites scientifiques. Replacé dans ce contexte, l'âge d'or de l'Islam déborde clairement du cadre strictement religieux, pour rayonner plus largement sur le plan civilisationnel.

Le contraste avec la Renaissance occidentale est clair. Galilée, ami du pape, en est l'exemple le plus connu. Parce qu'il avait approuvé les théories de Copernic, il fut jeté en prison pour hérésie. La manière dont le pape a réfuté les arguments de Galilée est bien connue : on ne saurait soutenir une théorie scientifique en contradiction avec les Saintes Écritures, sauf à montrer que Dieu, dans Sa puissance infinie, ne peut concilier le fait que toutes les preuves à l'appui de la théorie existent ; aussi la théorie est fausse. Ainsi formulée, cette norme était évidemment pratiquement inapplicable, et mettait en péril la connaissance scientifique dans son principe. Galilée s'opposa résolument à l'Église, ce qui fut plus dommageable à la relation entre la science et la religion qu'on ne pense communément.

René Descartes était sur le point de publier un document semblable en faveur de Copernic, mais il y renonça quand il vit quel sort fut réservé à Galilée. À l'époque, l'Eglise imposait sa censure, écartant tout ce qu'elle jugeait hérétique. Chaque ouvrage était ainsi soumis à une autorisation de publier délivrée par des représentants de l'Église. Les conséquences en furent catastrophiques pour la science, toute théorie susceptible de contredire l'interprétation de l'Écriture telle que l'Église la prêchait se voyant systématiquement filtrée. La science islamique évita cet écueil. Alors que l'Église, qui, en tant qu'autorité, prêchait une interprétation particulière des Écritures, avait dans le passé exercé cette autorité avec des mesures coercitives telles que l'excommunication et l'emprisonnement, l'islam ne connaissait aucune autorité centrale disposant d'un tel niveau de contrôle. L'administration qui s'en rapproche le plus est le califat, dont le rôle évolua au fil du temps, mais qui n'acquit jamais le pouvoir universel de l'Église chrétienne. La raison en est probablement que l'empire musulman fut fondé par de nombreuses petites tribus d'origine bédouine et par des cités-états, qui dans leur histoire n'avaient jamais été soumises à une autorité supérieure. Par ailleurs, étant donné leur nature disparate, à la fois culturellement et géographiquement, une telle autorité globale était une impossibilité logistique. En outre, la légitimité de tout calife était toujours controversée, la ligne de fracture la plus sensible étant entre musulmans sunnites et chiites, les premiers pensant qu'Abou Bakr, beau-père de Mohammed, était son digne successeur, les seconds lui préférant le cousin et gendre du Prophète, Ali Ibn Abi Talib. Un tel désaccord se poursuivit et menaça constamment le pouvoir suprême du califat, malgré l'affirmation de Mohammed selon laquelle les musulmans devaient faire serment d'allégeance à un seul chef. Ce désaccord conduisit à son tour à l'absence d'autorité politique unique aussi bien que d'interprétation unique des textes à l'échelle de l'empire. L'interprétation des textes islamiques a souvent varié d'une communauté à une autre. Le Coran lui-même favorisait cette absence de coercition : « Nulle contrainte en religion » (II : 256) peut en effet être interprété comme un décret divin appelant à la tolérance vis-à-vis des autres religions, mais aussi à l'intérieur de l'islam lui-même. Cet aspect de la tolérance religieuse a certainement joué un rôle dans la capacité des musulmans à accepter des interprétations différentes de leur texte, et aussi à rationnaliser les contradictions entre le texte et les hypothèses d'une science en perpétuelle évolution. Dépourvu d'une autorité centrale à même d'élaborer et d'appliquer des plans d'action hostiles à la science, l'empire musulman devint une plaque tournante de l'investigation scientifique qui, associée à une tolérance religieuse peu commune, attira les esprits scientifiques de l'Espagne aux confins de la Chine.

Une autre hypothèse doit être évoquée ici, celle selon laquelle science et christianisme ne doivent pas être conçus comme étant en opposition directe. Après tout, l'extraordinaire évolution scientifique qui caractérise la modernité est le fait de l'Occident chrétien, et il n'est pas déraisonnable de penser que sans la conception fondamentale d'une nature uniforme et dotée d'un ordre et d'une organisation observables, conception apportée à l'origine par la seule religion, la science n'aurait jamais disposé de ce socle depuis lequel elle a pu s'élancer. Sans doute la religion et la science sont-elles moins diamétralement opposées qu'elles ne le peuvent paraître ; sans doute les confrontations qu'elles ont pu connaître sont-elles simplement le fait d'incompréhensions et ne ressortissent en aucune manière à l'essence de l'une et de l'autre. Alors qu'il est incontestable que le christianisme et la science ont eu dans le passé une relation tolérante, voire symbiotique, on voit apparaître depuis un certain temps des positions antagonistes qui ont généré une hostilité qui se poursuit jusqu'à ce jour. Cette hostilité n'est pas une nécessité, comme le montre très clairement l'exemple de l'islam.

Il semble donc que l'on puisse conclure que l'approche islamique de la science ressortit tout à la fois à des facteurs liés au dogme - la valorisation de l'exercice de la raison dans les textes islamiques - et à des facteurs sociologiques, dont notamment le défaut d'une autorité centrale à même d'imposer de manière coercitive une interprétation unique des textes. Certes, l'appel à quérir le savoir, appel répété tant dans le Coran que dans la Tradition (les hadiths du Prophète), a certainement contribué à l'efflorescence des sciences en terre d'Islam. Néanmoins, l'autre facteur déterminant est cette capacité qu'ont manifestée les musulmans à interpréter leurs découvertes scientifiques d'une manière telle qu'elles n'entrent pas en conflit avec leurs convictions théologiques. Il n'est pas anodin à cet égard de relever que les scientifiques et les théologiens ne constituaient pas des communautés distinctes, tel brillant astronome, chimiste ou médecin étant souvent, par ailleurs, un exégète de renom. L'âge d'or de l'empire musulman, parce qu'il a consacré dans les faits l'idée selon laquelle la science et la religion peuvent indéfiniment coexister en harmonie doit rester à jamais un exemple pour l'humanité.

Stephen Pant est un écrivain indépendant en Australie. Il possède un diplôme en philosophie et en histoire de l'Université Monash, Melbourne.

Notes

1. H.R. Turner, Science in Medieval Islam: an Illustrated Introduction [La science dans l'Islam médiéval : une introduction illustrée], University of Texas Press, Austin, 1997, pp. 5-9.

2. G. Saliba, Arabic Islamic Science and the Making of the European Renaissance [La science arabe islamique et la naissance de la Renaissance en Europe], MIT Press, Cambridge, MT., 2007.

3. A.H. Syed, Islam and Science (Islam et science), New Delhi, 2003, p. 111.

4. Ibid.

5. M. Bucaille, La Bible, le Coran et la science : les Écritures saintes examinées à la lumière des connaissances modernes, Seghers, Paris, 1976.

6. A.H. Syed, op. cit., p. 116.

7. Ibid., p. 115.

8. F. McGraw Donner, The Early Arab Conquests [Les premières conquêtes arabes], 2001, in (16 mai 2009).

9. J. Cottingham, The Philosophical Writings of Descartes [Les écrits philosophiques de Descartes], CUP, Cambridge, 1991, pp. XI-XIII.

10. S. Murata & W. Chittick, The Vision of Islam [La vision de l'islam], Paragon House, New York, 1994, p. XXIV.

11. A.H. Siddiqi trad., Sahih Muslim, Adam Publishers & Distributors, New Delhi, 2007, 20 : 4543.

12. Coran, II : 256.

13. A.H. Syed, op. cit., pp. 112-113.

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