Ramadan est le neuvième mois du calendrier islamique. C’est un mois spécial pour plus d’un milliard de musulmans à travers le monde. Il est parfois appelé « le sultan des mois ». Pendant Ramadan, les musulmans en bonne santé jeûnent depuis les premières lueurs de l’aube jusqu’au coucher du soleil. Le jeûne consiste à s’abstenir de manger, de boire et d’avoir des rapports sexuels durant cet intervalle, chaque jour, pendant un mois. Selon les hadiths, il est recommandé de prendre une petite collation appelée sahûr avant la pointe de l’aube. À la fin de la journée, le jeûne est rompu avec un repas appelé iftâr. La Tradition veut également que l’on rompe le jeûne avec une datte, une olive ou de l’eau.
Le Ramadan est une période d’adoration et de dévotion intenses à Dieu, de lecture du Coran et de réflexion sur ses enseignements, de louanges pour les bienfaits reçus, de charité, de pratique de la maîtrise de soi et de la bonté, une période pour s’entraîner à être une meilleure personne sur le plan spirituel et pour améliorer ses rapports avec les autres.
Il n’est pas si difficile de jeûner
Pour les non-musulmans, le jeûne du Ramadan peut sembler une souffrance et une privation, or l’expérience des musulmans est tout autre. Il y a au moins cinq facteurs qui rendent le jeûne beaucoup plus facile qu’il n’y paraît : i) l’intention ; — ii) le sentiment d’appartenance ; — iii) la capacité d’adaptation du corps humain ; — iv) la solidarité socioculturelle ; — v) l’aide de Dieu. i) L’intention initiale réduit grandement les difficultés apparentes. Une fois que l’on s’est engagé à jeûner, la chose devient immédiatement plus accessible. — ii) De savoir et de voir que les autres jeûnent avec nous et partagent les repas du sahûr et de l’iftâr contribue à nous rendre individuellement plus forts. — iii) Le corps humain est doté d’une grande capacité d’adaptation. Les premiers jours de jeûne suffisent au corps pour s’adapter au nouveau régime, de sorte que l’on ne ressent plus la faim comme on la ressentirait en temps normal. — iv) Dans les pays où les musulmans représentent la majorité, ou à tout le moins une minorité importante, les jeûneurs bénéficient d’aménagements divers, notamment sur le plan professionnel (flexibilité des horaires et octroi de congés). — v) Enfin, Dieu Lui-même facilite la tâche de celui qui s’est engagé à jeûner en signe de dévotion à son Créateur.
Du préadolescent au vieillard, plus de 500 millions de musulmans à travers le monde jeûnent chaque année. Le jeûne ne les empêche pas de mener leurs tâches quotidiennes ou de remplir leurs obligations professionnelles. L’un des cinq piliers (obligations religieuses) de l’islam, le jeûne est probablement la forme d’adoration la plus pratiquée. Beaucoup de musulmans y puisent en effet l’élan de leur vie spirituelle.
Les quatre dimensions du Ramadan
Troisième pilier de l’islam, le jeûne possède plusieurs dimensions : comportementale, religieuse, sociale et spirituelle.
La première est évidemment la dimension comportementale. Le jeûne du Ramadan offre le moyen d’apprendre la maîtrise de soi. Parce que l’individu ne se préoccupe plus de satisfaire ses appétits physiques durant la journée, l’âme gagne de l’emprise sur le corps. Elle est libérée des chaînes du désir. Le jeûne procure une coupure dans le cycle des habitudes rigides ou de l’indulgence excessive.
Pendant le jeûne, non seulement l’estomac, mais aussi la langue, les yeux, les oreilles le cœur, l’esprit et les autres organes du corps doivent être également mis sous tutelle. De même que nous contrôlons nos appétits physiques, nous devons contrôler nos émotions et nos actions négatives. Mohammed (paix et bénédiction soient sur lui) a ainsi expliqué que le jeûne ne consistait pas uniquement à s’abstenir de manger et de boire, mais aussi à s’abstenir de commettre des actes répréhensibles. Il a souligné à cet égard que Dieu ne requérait pas le jeûne d’un individu incapable de contrôler ses sens, ni, plus généralement de se comporter correctement. Le Messager de Dieu a ajouté enfin que si quelqu’un nous insulte, agit envers nous d’une manière grossière, voire nous blesse, il faut se contenter de lui dire : « Je jeûne, je jeûne ! » Selon les maîtres du soufisme — voie spirituelle de l’islam —, non seulement nos organes, mais aussi nos pensées et nos sentiments doivent être contrôlés de près durant le mois de Ramadan.
Quant à la dimension sociale, le jeûne est un moyen de connaître la brûlure de la faim et de développer ainsi de la compassion pour les plus démunis, mais aussi l’occasion de mieux apprécier les bienfaits de Dieu et de Lui en rendre grâces. Le jeûne nourrit en nous les sentiments de pitié et de compassion pour les plus démunis. Bien que chacun sache d’une manière abstraite qu’il y a dans le monde des gens qui souffrent de la faim, la chose peut fort bien être sans effet sur notre comportement quotidien. Pendant le jeûne du Ramadan, cette connaissance est intériorisée, parce que désormais non seulement nous savons qu’il existe des gens qui ont faim, mais encore nous avons une idée concrète de ce qu’est éprouver la faim. Cette connaissance plus profonde et intériorisée nous aide à limiter le gaspillage et à faire ce qui est en notre pouvoir pour venir en aide à ceux qui sont dans le besoin.
Le Ramadan est aussi un moment de générosité. Les gens sont plus généreux, plus amicaux et plus prêts qu’à aucun autre moment de l’année à s’engager dans des œuvres caritatives et utiles. Les musulmans s’invitent souvent les uns les autres, ils invitent leurs amis, leurs proches, les musulmans et les non-musulmans, en particulier les voisins, peu importe leur croyance, à partager le repas du soir (iftâr) et à échanger des cadeaux et de bons vœux.
Le jeûne établit une continuité de la pratique avec les religions comme le judaïsme et le christianisme, dans lesquelles le jeûne est reconnu comme étant un élément important de dévotion à Dieu. Le verset coranique qui enjoint aux musulmans de jeûner leur rappelle d’ailleurs ce lien : « Ô croyants ! Le jeûne vous est prescrit comme il a été prescrit à ceux qui vous ont précédés […] » (Coran, Sourate 2, Al-Baqara, verset 183).
La dimension spirituelle
Dans la dimension spirituelle, le jeûne du Ramadan est un acte d’obéissance. Il conduit à la gratitude sincère, qui est le cœur de l’adoration. Aussi donne-t-il de l’empire à notre esprit sur notre corps. Si nous imaginons que notre corps est un navire, alors notre esprit, notre cœur et nos désirs charnels sont comme des mains qui rivaliseraient pour prendre le gouvernail. Le jeûne affaiblit l’âme charnelle et renforce l’empire du cœur et de l’esprit sur le corps.
L’expérience de la faim pendant le jeûne abolit l’autorité illusoire de l’âme charnelle en la rappelant à son impuissance foncière, à sa condition première de serviteur. La conscience de soi, ou la notion de « je », fait partie du « dépôt » (amâna) qui a été confié à l’homme en tant que représentant de Dieu sur Terre (Coran, Sourate 33, Al-Ahzab, verset 72). « Dans Son infinie Sagesse, le Créateur a confié à chaque être humain un ego qui porte en lui les indices et les exemples qui permettent à l’homme de reconnaître dans leur vérité les attributs du Seigneur de la création et Ses qualités essentielles. L’ego est la mesure par laquelle l’on accède à la connaissance des qualités du Seigneur comme des fonctions du Divin » (Nursi, 2005 : 552). Bien que Dieu soit plus proche de nous que notre veine jugulaire (Coran, Sourate 50, Qâf, verset 16), Ses noms et Ses attributs ne sauraient être pleinement compris puisqu’ils sont infinis, alors que nous sommes des créatures finies, mortelles et limitées. Les attributs virtuels que Dieu nous donne peuvent servir d’unité de mesure pour la comparaison et pour une meilleure appréciation des noms et attributs de Dieu.
Nous pouvons à bon droit nous demander pourquoi Dieu a fait de notre ego un moyen de connaître Ses noms et attributs. Saïd Nursi (2005 : 552) y répond ainsi :
Une entité absolue et omni-englobante n’a ni limites ni terme, et par conséquent ne saurait être façonnée ou formée, et ne peut pas davantage être déterminée d’une telle manière que sa nature essentielle puisse être pleinement comprise. Par exemple, sans l’obscurité qui la détermine, la lumière ne saurait être perçue ni connue. Toutefois, la lumière peut être déterminée si une ligne de démarcation réelle ou hypothétique entre elle et l’obscurité est dessinée. De la même manière, les noms et attributs de Dieu (comme le Savoir, le Pouvoir, la Sagesse et la Compassion) ne peuvent pas être déterminés, car ils sont omni-englobants et sont dépourvus de limite. Ainsi, ce qu’ils sont dans leur essence ne peut pas être connu ni perçu. Une frontière hypothétique est nécessaire pour qu’ils puissent être connus.
Dans notre cas, cette frontière hypothétique est notre ego. L’ego imagine en lui-même une autorité, un pouvoir et un savoir fictifs, et donc postule une ligne de démarcation, conjecture une limite aux attributs omni-englobants et dit : « Cela est à moi, et le reste est à Lui. » L’ego opère ainsi une division. Par la mesure miniature qu’il contient, l’ego en vient lentement à comprendre la vraie nature des attributs et des noms de Dieu.
Par le biais de l’autorité — ou de la seigneurie — qu’il s’imagine avoir, l’ego peut arriver à comprendre la Seigneurie du Créateur de l’univers. Par le biais du fait qu’il se croit être en possession de lui-même, il peut comprendre la vraie Possession de son Créateur (le seul véritable Possesseur), en se disant : « De même que je possède cette maison, le Créateur possède la création. » À travers sa connaissance partielle, l’ego comprend peu à peu la Connaissance absolue de Dieu. À travers son art acquis et défectueux, il peut saisir intuitivement l’art premier et initiateur de l’Artiste exalté. Ainsi l’ego dira : « J’ai construit et arrangé cette maison : Quelqu’un a dû construire et arrangé cet univers. »
L’ego contient des milliers d’états, d’attributs et de perceptions qui, dans une certaine mesure, révèlent et font connaître les attributs et les qualités essentielles de Dieu. Il est comme une mesure, un miroir, un instrument qui permet de voir et de découvrir, une entité pourvue d’une fonction indicative.
Il n’est pas nécessaire pour une unité de mesure d’exister réellement ; comme les lignes hypothétiques en géométrie, une unité de mesure peut être formée par hypothèse et supposition. Il n’est pas nécessaire pour son existence réelle d’être établie par une connaissance et des preuves concrètes. L’ego, cependant, oublie parfois sa vraie nature et imagine que sa « connaissance », son « pouvoir », sa « possession » et sa « capacité » sont réels. Quand l’ego oublie sa vraie nature et le but de ces sentiments, il devient une graine d’orgueil qui peut germer et donner un arbre pharaonique de démesure. Saïd Nursi (1995 : 222-223) signale l’importance du jeûne pour maintenir l’ego sous le joug de l’esprit :
Le jeûne du Ramadan suspend la seigneurie illusoire de l’âme charnelle et, lui rappelant son impuissance fondamentale, il la convainc qu’elle n’a jamais été qu’un serviteur. Comme l’âme charnelle n’aime pas reconnaître son Seigneur, elle s’obstine à revendiquer le pouvoir même quand elle souffre. Seule la faim peut venir à bout d’un tel tempérament. Le Messager de Dieu rapporte que Dieu Tout-Puissant demanda au moi charnel : « Qui suis-Je et qui es-tu ? » Il répondit : « Tu es Toi-même, et je suis moi-même. » Dieu continua à le tourmenter, mais Il reçut à chaque fois la même réponse. Mais quand Il le soumit à la faim, le moi charnel répondit : « Tu es mon Seigneur Tout-Miséricordieux et je ne suis qu’un serviteur impuissant. »
Conclusion
Jeûner pendant le Ramadan peut d’abord sembler une forme d’adoration difficile pour ceux qui n’en ont pas fait l’expérience. Or il y a beaucoup de facteurs, dont certains ont été évoqués ici, qui aident le fidèle à remplir son engagement. Dieu seul connaît la vraie sagesse du jeûne, mais nous en avons un aperçu grâce au Coran, aux hadiths et à notre expérience personnelle. Le jeûne est en premier lieu un moyen d’autocontrôle, de maîtrise de soi, un moyen de s’élever en piété et de s’émanciper de la tyrannie des sens. Deuxièmement, le mois de Ramadan est une occasion pour méditer, accomplir des actes d’adoration et renouveler sa gratitude au Créateur. Il permet aux membres de la communauté de compatir à la souffrance de ceux qui souffrent de la faim. Sur le plan spirituel, le jeûne permet une meilleure appréciation des bienfaits de Dieu et de la profonde gratitude qui doit Lui être témoignée, toutes choses qui constituent l’essence de l’adoration. Enfin, l’expérience de la faim lors du jeûne rappelle à l’ego sa vraie nature, c’est-à-dire sa faiblesse consubstantielle et sa dépendance absolue à la grâce de Dieu. Il rompt la seigneurie illusoire de l’ego et lui rappelle le but de sa création, qui est la foi, le savoir, l’adoration et l’amour de Dieu, ainsi que le service pour l’humanité.
Yüksel Alp Aslandogan est président de l’Institut de dialogue interconfessionnel de Houston. Muhammed Çetin est professeur de sociologie à l’université East Stroudsburg en Pennsylvanie.
Références
Nursi S., 2005, The Words [Les Paroles], The Light Inc., New Jersey.
Nursi S., 1995, The Letters [Les Lettres], Truestar, Londres.
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