L'état (Hâl) et la station(Maqâm)

Le mot état (hâl) concerne l’expérience qui consiste à ressentir dans son monde intérieur les souffles venant des royaumes au-delà du monde et à sentir la différence entre la nuit et le jour, entre le soir et le matin qui se produisent dans le cœur. Ceux qui comprennent ces états comme des vagues alternées d’exaltation et de chagrin, de contraction et d’expansion, qui envahissent le cœur sans que le croyant ait à faire le moindre effort, appellent le défilement stable de ces vagues une station (maqâm) et leur disparition la sensualité.

Il ne serait pas faux de décrire l’état comme un cadeau divin et comme la brise de la proximité de Dieu ressentie dans le cœur et la station comme l’expérience continue et stable de cette brise et l’acquisition d’une seconde nature. Comme la vie, la lumière et la miséricorde, l’état est un cadeau venant directement du Tout-Puissant, qui conduit à la conviction de l’Unité divine. Il incite à d’autres recherches et provoque une quête métaphysique intense. Inversement, la station dépend d’un effort intentionnel et considère la vérité selon la capacité de la personne. C’est pourquoi il ne faut pas aller jusqu’à considérer que la station s’obtient grâce à un effort personnel. Ainsi, le sentiment qu’a le croyant des événements spirituels qui se produisent dans son cœur, et l’ouverture par le croyant d’un nouveau chemin en son sein qui mène vers l’Unique que son cœur connaît à tout instant aboutissent à une appréciation de la Source de ces événements plus profonde que celle que l’on pourrait avoir si on les façonnait selon ses capacités et son caractère propres, ce qui pourrait conduire à un certain degré d’ostentation et de vanité.

Ainsi le plus véridique et le plus fervent [Mohammed, paix et bénédictions soient sur lui, ndlr] a-t-il dit : « C’est votre cœur que Dieu considère, non votre corps. »1

Ces mots orientent notre attention vers ce qui est important pour la Vérité ultime [Dieu, ndlr] et montre aux gens comment atteindre la cible principale. Selon une tradition [hadith, ndlr] rapportée par le biais d’une chaîne de transmission moins fiable, « Dieu considère votre cœur et vos actes. »2 C’est là une référence à une station que l’on atteint après des cycles d’états.

L’état se rapporte à des manifestations divines qui se produisent à des moments déterminés par la Volonté absolue [Dieu, ndlr]. Ces manifestations se reflètent sur le cœur et sont reçues par la perception et la conscience du croyant, qui les recherchent pour les couler dans un moule. C’est pourquoi, alors que la station signifie stabilité et subsistance après les vagues de l’état, on peut comparer l’état à des groupes d’ondes de longueurs et de couleurs différentes venant du soleil, apparaissant puis disparaissant, en fonction de la Volonté qui domine absolument [Dieu, ndlr]. Les âmes douées de sens, et celles dont la conscience est vigilante ou éveillée à la connaissance de Dieu, discernent les vagues d’états qui arrivent sur leur cœur, de même qu’elles voient les reflets du soleil sur l’eau, et elles réagissent à ces vagues selon leur niveau de perception et leur façon de percevoir. Il se peut que ceux qui n’ont pas corrigé le déséquilibre de leur cœur, et qui par conséquent vivent hors du lien au Tout-Puissant, considèrent ces vagues d’états comme des illusions et des fantasmes, alors que ceux qui voient l’existence à la lumière de la Vérité ultime les voient comme des réalités avérées et vécues.

Le Prophète, héros des états par excellence, et dont chacun des présents spirituels qu’il recevait était inférieur au suivant — puisse Dieu illuminer notre cœur de la lumière du plus humble de ces dons — a dit : « Soixante-dix fois par jour, je demande à Dieu de me pardonner. »3

Il ne saurait certes en être autrement pour une âme parfaitement pure qui aspire à une monture immortelle et une lumière éternelle pour un voyage sans fin vers l’Être infini.

Fethullah Gülen est un penseur musulman turc, auteur de plusieurs articles et ouvrages.

Références
1 Mouslim, « Birr » 32-33.
2 Mouslim, « Birr » 34 ; Ibn Mâja, as-Sunan, « Zuhd » 9 ; Ahmad Ibn Hanbal, al-Musnad 2 : 284, 539.
3 Al-Boukhârî, as-Sahîh, « Da‘wa » 3 ; at-Tirmîdhî, « Tafsîr as-sûra 47 » ; Abou Dawoud, « Witr » 26.