Certes, la jalousie est innée. Nous avons chacun en nous ce désir qui nous pousse à nous intéresser à ce que les autres possèdent de bon jusqu’à vouloir les obtenir. Cette volonté peut se traduire par deux sentiments : l’envie et la jalousie. L’envie est un sentiment positif alors que la jalousie est extrêmement négative. La jalousie est le désir ardent de voir l’autre perdre les bienfaits éphémères dont il a été comblé, tels que la richesse, la réputation, le statut ou la beauté, de sorte que leur perte lui cause de la souffrance. Quant à l’envie, c’est la volonté d’obtenir soi-même un bienfait semblable à ce qu’un autre possède. C’est un sentiment conforme à la nature humaine, qui motive l’un sans nuire à l’autre. La jalousie, elle, est extrêmement nuisible : elle ruine les relations entre les individus, allumant dans les cœurs les feux de l’animosité. Elle est l’état le plus grave du désir et de l’intolérance réunis. Le Prophète Mohammed (paix et bénédiction soient sur lui) a dit à son sujet : « Prenez garde à la jalousie, car elle consume les bonnes actions, comme le feu consume le bois. »
Les causes de la jalousie peuvent être multiples.
Course aux richesses et aux honneurs
Convoiter la beauté, les biens, la réputation ou un statut social supérieur est une inclination tout à fait naturelle. Les individus rivalisent entre eux dans ce but. Certains y parviennent, d’autres non. Il s’agit là d’une épreuve terrestre dont Dieu seul a le secret. Si les cœurs ne sont conservés dans le droit chemin, si leur santé spirituelle est défaillante, la jalousie s’y logera aisément. Les jaloux tombent alors dans toutes sortes de manipulations et sont prêts à tout pour obtenir ce qu’ils convoitent. Le jaloux ne peut être comblé que s’il devient un jour« unique » : le meilleur footballeur, programmateur, écrivain ou acteur, l’inventeur le plus célèbre, le président de la République, le Premier ministre, le ministre, le directeur général ou le recteur le plus marquant, l’homme le plus riche du pays, voire du monde, etc. Et tandis qu’il gravit les marches de sa gloire, il se réjouit et applaudit intérieurement à tout ce qui aura pu contribuer à éliminer ses concurrents.
Vanité et quête de reconnaissance
Le désir de se vanter fait partie de la nature humaine. Egocentrique par définition, il constitue l’un des éléments du narcissisme. L’individu désire donner de l’ampleur à sa personne sur la base d’une de ses caractéristiques, qu’elle soit réellement importante ou non. Il souhaite faire parler de lui avec excès et pouvoir tirer vanité de ce qu’il est. Pour ce faire, il parle de lui d’une façon à éveiller curiosité et intérêt. Celui qui se vante désire absolument atteindre ce qu’il conçoit comme un sommet. En se vantant, il tente en réalité de se défaire du complexe d’infériorité qui l’emprisonne. Pourtant, par cette attitude même, il s’aliène, tant la vantardise est une chose détestable. Le comportement de ceux qui cherchent à se faire apprécier en s’affichant comme beaux, bons, sympathiques, compétents, est en effet réprouvé par l’ensemble des religions, car le fait de se vanter en société, — auprès du sexe opposé, du leader d’un parti politique, de l’employeur, etc. —, risque d’enflammer la jalousie. Quand un individu objet d’admiration est réellement digne de l’être, la jalousie peut s’installer dans le cœur de ceux qui lui sont hostiles ou qui ont une nature narcissique.
Certains, enfin, veulent plaire en se présentant comme modestes, alors qu’ils ne le sont pas. Ils feignent l’humilité afin de s’attirer les compliments d’autrui. Il s’agit là d’un autre visage de l’orgueil. Le vaniteux, ici, se reconnaît souvent à des formules comme « Je ne suis qu’un serviteur impuissant. Cependant, comme je suis la personne la plus apte à réaliser cette action grâce à l’intelligence que Dieu m’a donnée, on m’a estimé digne de le faire », ou encore « Je fais cela en toute modestie, c’est un don que Dieu a accordé à l’humble serviteur que je suis… »
Attachement au monde ici-bas
L’attachement au monde ici-bas est une des causes de la jalousie. De l’ordre de la passion, il absorbe les pensées et dévore le temps et l’énergie de celui qui s’y abandonne. L’individu se trouve alors envahi par la jalousie face à la richesse ou au prestige social dont jouit autrui. Le désir de posséder ces avantages se transforme alors en animosité et en ressentiment. La jalousie se mue enfin en haine pour les personnes enviées, dont le jaloux devient désormais l’ennemi acharné.
Défaut de solidarité du riche vis-à-vis du pauvre
Au sein d’une société, la qualité du vivre ensemble est fondamentale. Appeler au téléphone, prendre des nouvelles ou rendre visite sont des actions qui contribuent non seulement à maintenir les liens familiaux, mais encore à établir avec les proches des relations empreintes d’empathie. De nos jours, la richesse, qui est souvent synonyme d’ostentation et de gaspillage, produit un grand nombre de démunis dont elle excite la jalousie. Les visites, attentions et aides réciproques entre riches et pauvres, employeurs et employés, mais également entre voisins et entre membres d’une même famille, doivent être permanents. Ces pratiques nous permettent de connaître les besoins et les dispositions physiques et spirituelles de ceux auxquels nous rendons visite. Nos émotions s’avivent. Le sort des opprimés suscite notre compassion. Nous sommes sensibles à la souffrance des autres et les aidons de notre mieux. Cette solidarité en acte fait que les pauvres ne se sentent pas seuls et abandonnés. Elle consacre les valeurs du partage et de la solidarité au sein de la famille comme au sein de la société toute entière, amenant, dans un mouvement réciproque, l’employé à comprendre son employeur et le riche à être sensible à la souffrance du pauvre. La relation de confiance qui unit l’employeur à l’employé s’en trouve renforcée, de même que le sentiment de solidarité. Les visites adoucissent les cœurs et diminuent les sentiments tels que la rancune, la haine et la jalousie.
Rivalités et jalousies confessionnelles
Il arrive que la jalousie ne soit pas le propre d’un individu, mais le fait de la communauté à laquelle il appartient. Gens du Livre, membres d’écoles juridiques différentes, membres de confessions diverses se sont ainsi opposés les uns aux autres, guidés par la jalousie. C’est ce que nous enseigne l’histoire. Des guerres de religion et des croisades ont eu lieu du fait de la jalousie qui consumait les cœurs des uns et des autres. Certains croyants ont attisé la rancune, la haine et la jalousie dans le cœur de leurs semblables. Le fruit de ces discordes a été la mort de centaines de milliers de fidèles à travers l’histoire. Jalousie et dissensions ont pu déchirer les membres de communautés pourtant issues d’une même religion. Animés par un sentiment sectaire et guidé par la jalousie, certains ont voulu empêcher leurs coreligionnaires d’accomplir leur devoir en prêchant la bonne parole. Pourtant, il n’y a pas lieu d’être jaloux dans la mesure où les croyants espèrent des récompenses dans l’Au-delà et non ici-bas. Ce qui peut être autorisé, tout au plus, c’est le fait de désirer pour soi-même un bienfait dont un autre a été gratifié. Soulignons aussi le fait que les membres d’une communauté sont comme les associés d’une entreprise qui serait non pas matérielle mais spirituelle. Leurs actions individuelles seront redistribuées aux autres comme autant de parts. Dès lors, il est impossible de jalouser les mérites de ses frères et associés. Un croyant qui cède à la jalousie est un ignorant, parce qu’il attend une rétribution en ce bas-monde. Les dialogues interreligieux et intercommunautaires, et, plus généralement, les initiatives qui supposent que l’autre est accepté dans son altérité, constituent les remèdes à cette maladie qu’est la jalousie confessionnelle.
Les signes de la jalousie
La jalousie se manifeste par des signes divers qui la rendent aisément reconnaissable.
La querelle. — Le jaloux et l’être jalousé se querellent fréquemment puisque le second se défend face aux provocations du premier. Or, le Prophète Mohammed (paix et bénédiction soient sur lui) a dit : « Ceux qui ne se querellent pas et ne blessent personne entreront au paradis. »
L’aveuglement. — Le jaloux est si déterminé par l’objectif qu’il veut atteindre qu’il est prêt à tout pour y arriver. Il en est aveuglé. L’individu ne contrôle plus ses actes à cause de la jalousie, aggravée par l’ambition et la colère. Il ne peut réfléchir et prendre une décision juste puisqu’il perd la raison. Tout ce qui l’intéresse, c’est la réalisation immédiate de ses volontés. Il est prêt à tout pour y arriver.
L’hostilité. — Si la source de l’hostilité est la jalousie, c’est le jaloux qui en est la principale victime. En effet, aussi longtemps qu’il n’aura pas atteint son but, il se consumera intérieurement, au point parfois de s’effondrer psychologiquement. Sa raison et son cœur sont sous l’emprise de cette préoccupation destructrice. Il souffre de voir l’autre continuer de posséder ces biens qu’il jalouse. Souvent, cet autre n’a pas même conscience d’être un objet de jalousie. L’impuissance du jaloux fait que son cœur se remplit alors de sentiments funestes : la rancune, la vengeance, la haine.
Les rêves révolutionnaires et les cris de vengeance des plus démunis. — Les plus démunis sont perméables aux idées révolutionnaires et aux manipulations. C’est le cas lorsque les gens travaillent dans des conditions extrêmement pénibles pour un salaire si bas qu’ils ne leur permet pas de manger à leur faim, lorsque les riches sont indifférents au sort des pauvres et que les intérêts enrichissent ceux qui possèdent des capitaux, tandis que les pauvres sont écrasés sous le poids de la hiérarchie sociale. L’histoire regorge d’exemples qui illustrent cette réalité. Ainsi, la Révolution bolchévique d’octobre 1917 : avant qu’elle n’éclate, la révolte sourdait au sein d’une large couche de la population russe qui était exploitée et travaillait dans des conditions extrêmes. Les soulèvements de 1905 annonçaient l’arrivée de la révolution. La pauvreté qui frappait les gens nourrissait chez eux la haine et la rancune, mais aussi un désir de destruction et de vengeance. Les riches ne s’en sont pas inquiétés. En 1917, la pénurie de pain, les problèmes économiques et les soulèvements des travailleurs qui s’en sont suivis furent mis à profit par les activistes bolchévique ce qui rendit possible la révolution. Les rêves révolutionnaires et les cris de vengeance continueront dans les pays où la justice sociale n’est pas assurée, où la contribution légale n’est pas donnée et où l’usure et les intérêts sont généralisés.
La diffamation et l’humiliation. — Le jaloux ment et diffame, répandant des calomnies au sujet de celui qu’il jalouse. Il s’éloigne ainsi de l’humanité, ayant choisi des valeurs que la morale, la conscience, la raison et le cœur réprouvent.
Conclusion
Le monde terrestre est éphémère. À notre mort, nous n’emporterons que nos actions. Le sentiment d’éternité qu’il porte en lui trompe l’être humain et le conduit à croire que la mort ne l’atteindra pas. Il se laisse habiter par la jalousie, alors que le monde ici-bas est vain. Tout est passager. Celui qui abrite en son cœur une foi véritable ne se laisse jamais tenter par la richesse ou les honneurs au point de jalouser ceux qui en jouissent. Le fidèle ne jalouse pas son frère et ne veut pas son malheur. L’objectif qu’il se donne ici-bas, c’est de servir Dieu et obtenir Son agrément. Il n’est donc jamais jaloux. Il peut lui arriver de désirer obtenir ce que d’autres possèdent. Cependant, il essaie de chasser de son cœur ce désir afin de préserver sa foi exempte de toute tache. Ce faisant, il contribue à l’édification d’un ordre social idéal. Ce faisant, il emprunte le chemin qui mène à la félicité en ce bas-monde, comme dans l’autre.
Arslan Mayda est médecin spécialisé en chirurgie orthopédique et traumatologie.
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